Billet

Récit de course : Mon premier 100 miles à l'UTFS

29 août 2023 0

Prologue

Quand j’ai annoncé à Cath que je voulais m’inscrire à un 100 miles au Saguenay, les seules conditions qu’elle m’a données étaient que je m’entraîne pour vrai et que je réserve un hébergement tout de suite. En octobre 2022, j’ai donc sorti la carte de crédit en prévision de l’Ultra Trail du Fjord du Saguenay (UTFS) et me suis attelé à la tâche d’adapter un plan d’entraînement. 

Après près de quatre ans sans course officielle, c’était un peu un retour à la base pour moi. Ça faisait plusieurs années que je voulais faire un 100 miles et disons que lorsque j’ai vu la promo pour l’UTFS et que Stéphane m’a parlé qu’il regardait pour la faire aussi, je n’ai pas eu d’autre choix que d’embarquer! Je ne suis pas difficile à convaincre pour les plans de fous.

Le plan

À partir de janvier, j’ai méthodiquement suivi mon plan d’entraînement. Quatre sorties par semaine, deux au seuil, deux longues plus mollo. De la mobilité, un peu (vraiment pas assez) de musculation, pis du fun entre tout ça. Je faisais mes intervalles de 800 mètres au Jardin botanique pendant l’hiver et quel plaisir que de retrouver la piste après un malencontreux épisode de verglas! Le plan était d’une durée de 26 semaines, avec de l’espace pour reprendre une semaine si ça n’allait pas et pour prendre des vacances en Minganie.

Ça fait que j’ai tourné dans Rosemont, le Plateau, au mont Royal, à Saint-Hilaire, à Chartierville, à Woburn, dans les Monts Stoke, etc. J’ai même fait une escapade silencieuse jusqu’à Saint-Lambert, mais chuuuuut. La mécanique a relativement bien suivi. Pour le mental, c’était une autre game. 

La préparation du mental

Lors de ma traversée des monts Stoke, je me suis perdu dans un sentier qui n’avait pas été entretenu depuis quelque temps et dont le balisage était pratiquement absent. J’ai retrouvé mon chemin et je suis revenu sur mes pas assez vite, après avoir consulté avec ma chief crew extraordinaire qui m’attendait plus loin à la grotte de l’ours, mais ça m’a joué dans la tête et j’ai refusé de faire l’aller-retour à partir du mont Chapman comme on avait convenu. Ça m’est resté dans la tête et dans ma préparation, je me suis dit que si je me perdais pendant la course (fort probable avec une organisation qui en est à sa première édition), il fallait que je reste zen et que je reprenne le dessus rapidement.

La pacer du bonheur

À la fin juin, cherchant une personne pour me pacer (une meneuse d’allure) lors de la fête à Claudine, je réalise qu’il y a une personne à qui je n’ai pas demandé et qui serait un excellent match, par son expérience, son enthousiasme et son penchant pour des plans de marde : Catherine Campbell. En plus, avoir deux Catherine sur son équipe, ça porte chance à ce qu’on dit. Longue histoire courte, Cath C a finalement donné son go alors que nous étions en kayak à l’île Nue dans l’archipel de Mingan. Nos vacances se sont encore mieux passées.

Prêt pas prêt

À quelques jours de la course, j’étais fébrile. À la question « es-tu prêt ? », je n’étais pas certain de savoir quoi répondre. Le gros du travail avait été fait, mais un doute subsistait toujours. J’avais tellement hâte d’être sur la ligne de départ avec Stéphane et ces personnes que je respecte énormément qui ont mis le temps et l’effort dans la préparation pour une épreuve comme celle qui nous attendait.

Sur la route, on passe par Chicoutimi pour aller à l’Anse-Saint-Jean et je vais récupérer mon dossard où Raphaël le directeur de course nous annonce avec confiance que les sentiers sont bien drainés ou se drainent rapidement. J’aurai donc les pieds au sec, selon lui! Pas de traverse de rivière par contre, parce que la rivière Saint-Jean est très haute.

L’auberge du Camp de base est super accueillante, on profite du village, on observe les bélugas et on mange « bien » (crêpes, burger, frites..!). Je fais aussi les dernières courses de mon plan d’entrainement, directement sur le parcours, où on aura des moments sûrement moins faciles.

Nuit ou matin?

On s’est couché à 19h le vendredi. J’ai dormi. Pas bien, mais j’ai dormi, anticipant le réveil à 2h15. Dans la cuisine de l’auberge, on croise Roxana et Dimitri. Roxana est dans le même bateau que Cath, c’est-à-dire, suivre son athlète toute la journée et attendre. On roule ensuite vers Rivière-Éternité. Tradition oblige, The Coast de Valaire joue.

Rendu au village, on se fait dire que « pour les cyclistes, c’est là-bas ». Fait qu’on se rend « là-bas » au parc municipal où se trouvent des crèches géantes. Il fait très noir, il pleut, mais on voit un peu d’éclairage pour la ligne de départ. Est-ce que c’est la meilleure ambiance de départ? Non, mais je ne demandais rien d’autre. 

Stéphane est là et on a hâte de partir. On reçoit les dernières consignes. Paraîtrait qu’on a eu des informations qui étaient vraiment importantes pour les douze derniers kilomètres, mais je n’en ai aucun souvenir.

Puis à 3h59, le départ est annoncé, un peu sur la fesse, parce qu’il commençait à pleuvoir plus et le chronométreur n’avait pas prévu imperméabiliser son matériel. Des choses qui arrivent.

Nous empruntons le chemin d’accès du parc national du Fjord-du-Saguenay, principalement une descente avant de suivre le sentier de la rivière qui nous montre un peu ce qui nous attend en termes de boue et de glisse. Très amusant et on est au premier ravito bien avant le temps estimé, laissant derrière nos équipes de soutien.

Jujubes et Coke avalés, on repart vers la statue. Ça part assez raide dans un sentier mi-technique, mi-roulant, mi-boueux. On y reviendra. On monte plusieurs escaliers et on aperçoit les premières lueurs du jour. Après l’heure de pluie, c’est agréable de penser que la météo sera probablement de notre côté, aujourd’hui du moins. Les voiliers ancrés dans la baie Éternité sont immobiles et dressent un magnifique portrait entre falaises et montagnes. 

On passe par la statue de Notre-Dame-du-Saguenay et on revient sur nos pas. Ce qui était boueux l’est toujours, tout comme ce qui était glissant.

Cette fois, nos équipes sont au ravito. Changement de chandail pour moi parce que mon manches longues est trempé et je sais qu’il va faire chaud. 16 km complétés.

Sentiers drainés ™

Stéphane et moi repartons vers le lac de la Chute. Supposément on passe par un sentier roulant, mais cette définition sera nécessairement à revoir. Encore une fois, boue, trous d’eau et racines sont au rendez-vous, mais on est en forêt, il fait beau et on a du fun. Pour vrai! On croise quelques bénévoles qui nous indiquent les allers-retours à faire et on cueille nos premiers bleuets de la course. Pas tout à fait prêt à mon goût, mais quand même délicieux.

La particularité de nos deux prochains ravitos est qu’ils sont très isolés et que nous devons filtrer l’eau. Énorme respect aux bénévoles du club de randonnée de Saguenay qui ont transporté tout le matériel au milieu de nulle part pour nous.

À la Chute, on remplit nos gourdes, on mange et on jase un peu avec les bénévoles pour connaître l’état des sentiers. On croise Bach Chu, un autre participant qui documente sa course avec sa GoPro et qui a un optimisme contagieux. Puis on reprend le chemin vers le ruisseau Aimable. 26 km complétés.

Encore une fois c’est du monte descend dans la boue, l’eau et les ruisseaux. C’est assez intense. Je m’obstine un peu avec Stéphane parce que j’ai souvenir qu’il y a des grilled cheese au prochain ravito et lui dit que non, parce que c’est isolé. Finalement, j’ai raison et au ruisseau, Linda nous accueille avec des grilled cheese qu’elle prépare allègrement dans ce qui est désormais surnommé Snack Bar chez Linda. Merci encore au club de rando pour tout l’effort que vous mettez pour nous.

Je porte le numéro 41 et on croise le numéro 42. L’assignation a été faite par ordre alphabétique alors je demande son nom : c’est Martin Veilleux! HEYYY! Fait que j’ai mieux compris pourquoi je me faisais demander si je connaissais Martin, ou si c’était mon frère, tout le reste de la course. Les courses c’est drôle pour ça.

On entend entre les branches qu’il n’y aurait que deux ou trois athlètes derrière nous, donc on ferme presque le parcours. En même temps, on était 36 au départ, alors c’est fort possible. 38 km complétés.

Pour la vue

Le sentier les Caps vers la montagne Blanche était frustrant, mais tellement payant. On voyait où on s’en allait depuis tellement longtemps que ça peut commencer à jouer dans la tête quand tu n’arrives pas. Toujours en ayant un visuel sur le sommet, on prend un virage à droite pour se rendre compte quelques mètres plus loin qu’on n’est plus sur le sentier. Oups. Pas trop de mal comme on revient sur nos pas et on trouve finalement le sentier et sa signalisation quasi parfaite. Le sommet de la montagne Blanche nous offre une superbe vue sur le Fjord et on complète l’aller-retour.

Geneviève et Jason nous rattrapent, mais restent derrière et on entreprend la descente vers la chute et ultimement vers le village. On croise beaucoup de randonneurs qui nous laissent la priorité. Je ne sais pas s’il y avait de la signalisation ou quoi que ce soit, mais sérieusement ça a été une belle cohabitation tout le long du sentier. La chute et la rivière sont gonflées à bloc et la vue est, encore une fois, magnifique.

En bas de la chute, on se retrouve sur une route et on voit une silhouette toute de noir vêtue au loin : c’est William! Il nous accompagne jusqu’au ravito de l’église (qui n’est pas vraiment à l’église). Nos équipes nous attendaient avec impatience, tout comme William, Cath C, Aurélie et Mila! Malgré mes pieds mouillés, je décide de ne pas changer de souliers ou de chaussettes. Les sentiers et le dénivelé ne m’ont pas trop affecté et je sens que j’ai encore beaucoup d’énergie. Je change mon filtre pour des pastilles pour sauver du poids et Cath m’encourage tout en s’occupant de mon ravitaillement. 

Le soleil me tape un peu et je commence à surchauffer. Je décide donc de repartir rapidement, en solo. On sait Stéphane et moi qu’on se recroise sur le parcours et qu’on va sûrement se retrouver la nuit tombée. 50 km complétés.

Dans les bois

On passe par l’Anse et je sais qu’on revient ici plus tard dans la course, mais avant, on passe par la ZEC et ses routes de terre bien exposées au soleil. Tout est sec et drainé pour les premiers kilomètres, mais l’expérience 100% UTFS se poursuit à peine plus loin. Un peu de boue, d’immenses flaques d’eau (j’ai rêvé d’un canot, d’un paddle ou d’un pédalo à plus d’une reprise), des racines et beaucoup de roches. Genre, il faut imaginer le pire, puis multiplier par dix. C’était vraiment nice!

À moment donné, la plus petite pancarte nous disait de tourner et d’aller faire l’aller-retour vers le cap à Don. Pas trop certain, je sors le guide du parcours pour confirmer, puis je file vers le cap, croisant Bach et plusieurs autres coureurs qui en reviennent. Je m’attends à voir un bénévole, ou à devoir inscrire mon nom ou mon numéro ou encore à déchirer une page d’un livre, Barkley style, pour confirmer mon passage, mais à la plateforme du cap, il n’y a qu’une feuille qui dit de faire demi-tour. Simple de même.

En retournant je croise encore du monde ET Stéphane. Je suis content de voir qu’il n’est pas trop loin, me confirmant qu’on va reprendre ensemble plus tard dans la course. En descendant, je mets le pied dans un trou d’eau, mais à la différence des trous d’eau dans lesquels je suis passé à date, je ne trouve pas le fond de celui-ci… Une chance que j’avais de bons points d’appui avec mes bâtons, sinon ça aurait mal été. 

Puis je profite de la descente « roulante » vers le Corsaire, mis à part la passe de la pinède, qui, après le passage des athlètes du 100 km et du 50 km, ne ressemble à rien. L’érosion et les branches arrachées me font mal au cœur, et la boue et les roches exposées rendent le tout hyper glissant. Et comme la pinède est à flanc de montagne, disons que ce n’est pas idéal. 65 km complétés.

J’arrive finalement au Corsaire où m’attend Cath et un autre ravito qui fait du bien! Mark, le chief crew de Stéphane me dit que je suis en feu et j’avais besoin de l’entendre. Le capitaine du ravito m’explique la prochaine section où, à ce qu’il paraît, on gagne de nouvelles jambes. J’ai des doutes, mais j’aime courir dans les érablières donc on verra. Je rattrape Bach encore et on court un peu ensemble. Le pauvre s’est fait piquer par des guêpes et je l’encourage en lui disant que peut-être que les premiers répondants au Corsaire pourront l’aider à notre deuxième passage. 

Ça monte en ta’ et je réponds bien alors il me dit d’y aller et de ne pas l’attendre. Je reprends donc et je ne sais pas combien de petites cabanes à sucre on a passées, mais elles étaient toutes impressionnantes : rustiques et traditionnelles! Il y a aussi des statues et des œuvres d’art un peu partout le long du sentier et j’ai l’impression d’être dans les chemins d’accès des monts Uapishka. J’ai les jambes en feu à cause du up and down, je crie des « let’s f&*$% go » pour évacuer le mauvais et je descends à fond vers le Corsaire. 70 km complétés.

C’est qui Pierrot?!?

Après mon deuxième ravito au Corsaire, je pars sans trop savoir ce qui m’attend. Je sais que le prochain arrêt est au quai de Petit-Saguenay, mais c’est tout. La première montée remet le feu aux jambes puis après une séquence qui semble interminable, j’arrive sur une route. Ça ne fait pas tant de bien, mais au moins, il n’y a pas de boue ou de racines.

Puis des premiers répondants m’indiquent de tourner vers le sentier de la Savane à Pierrot. Et ça monte. Et ça monte. Et ça n’arrête pas de monter. Je sacre en français, en anglais, en espagnol et en allemand parce que je ne sais plus quoi faire d’autre que de sacrer en montant. J’hurle. Le terrain ne se court pas du tout. Les nombreux lacets font que ça n’avance pas plus. Après quelques minutes, je sors le guide pour lire que c’est une montée de 350 mètres sur moins de 1,5 km. AH! Là je comprends. C’était possiblement la pire montée de toute la course… à date.

Au risque de me répéter, il y avait encore une fois beaucoup de boue, d’eau et de racines, avant de déboucher sur un chemin forestier. Sur un guide ou dans une description de course, on penserait que les chemins forestiers ou les pistes de véhicules tout-terrains seraient faciles à courir, mais il n’en est rien. On dirait que j’ai toujours de la difficulté à trouver mon rythme. Le jour commence à tomber et je souhaite arriver au quai avant le coucher du soleil. Je mets donc un peu plus de torque et je reviens à l’entrée du sentier avant d’emprunter la route vers le quai.

Tell me why

En arrivant, le coucher de soleil est magnifique, et un vidéographe de l’organisation prend des images en m’accompagnant sur quelques mètres. Cath, Mark et MJ sont là. Je vais m’enregistrer et prendre mon ravitaillement, accueilli au son de « I want it that way » des Backstreet Boys. Obligation absolue de chanter « TELL ME WHY… » le plus fort possible.

Je prends mon temps pour le ravito parce que je sais que Stéphane n’est pas loin et je veux repartir avec lui pour la première portion de la nuit vers l’Anse. Changement de chandail, de chaussettes et de chaussures.

Stéphane arrive, prend son ravito et on repart ensemble. On jase un peu de la misère qu’on a eue dans la pinède, mais surtout de la montée pas possible à Pierrot. Le sentier des Poètes qu’on emprunte a possiblement vu de meilleures journées, mais là, c’est un champ de mines. Trous, boue, eau, racines, roches, caps glissants, etc.

Paraît qu’il y a des relances sur cette section, on ne les a pas trouvées. Et comme il faisait noir, les points de vue étaient ordinaires. Le moral n’était pas à son paroxysme, mais on a eu du fun pareil et on a beaucoup ri (et dit de la marde, mais ça c’est un trademark de courir avec moi).

Juste avant le village de l’Anse, je vois des yeux dans la forêt. Le reflet vert indique que c’est possiblement un félin, et quand je le pointe à Stéphane, on s'aperçoit que c’est une maman lynx et ses deux petits. On a de la chance quand même! 

Puis on entreprend la portion « route » de la course en passant dans le village de L’Anse-Saint-Jean, dans le camping, derrière la micro, en route vers l’église. En suivant le long de la rivière, on entend des cris et le bruit qui semble provenir d’un stade complet. À notre plus grand étonnement, ce n’est pas un stade, mais bien quatre bénévoles, nos équipes et nos pacers qui nous font le plus grand accueil possible. 92 km complétés.

Cath avait préparé mon matelas et une serviette à un endroit trop parfait et je fais une sieste de dix minutes. Puis j’enfile les grilled cheese pour mieux repartir. Cath C et William commencent leur quart pour nous accompagner. On a fait de l’alternance course et marche et je commence à avoir l’impression de courir sur du papier sablé. Pas idéal.

J’avais fait la reconnaissance sur la route et sur la piste cyclable où on se trouvait. J’avais aussi vu des visages sur les poteaux électriques, en plein jour, donc j’avais averti mes compères de ce qui pouvait nous attendre. Par contre, la douleur m’empêchait de regarder très longtemps vers le haut, me concentrant sur ma marche rapide.

Au ravito du camp de base, j’ai besoin d’aller à la toilette. Malheureusement, il n’y en avait pas, mais heureusement, notre chambre d’hôtel est à moins de 50 mètres. Je cours (il était temps!) vers la chambre. Je décide de changer mes chaussettes encore, mais cette fois avec un oubli majeur ; mettre de la crème anti-frottement aux pieds. Cette erreur va me hanter pour le reste de la course (et les jours à venir). Je retourne au ravito puis on reprend le long de la route. 101 km complétés.

Ça use les pieds

Il fait noir. Le brouillard est de retour et nous trottons le long de la 170. J’ai aussi fait une reconnaissance pour savoir où tourner et heureusement. Quand on voit la dernière grande côte, je sais qu’on n’a pas à la monter. Mes pieds me font déjà mal ce qui n’est pas un bon signe et honnêtement, je suis très fatigué. La motivation ne suit plus du tout. Mon but pour l’instant est de me rendre au ravito de l’Érable et d’arrêter là. Pas la meilleure disposition mentale. 

J’indique à Stéphane et William qu’ils peuvent nous distancer, comme je vais marcher pour les prochains temps. Cath C essaie de m’encourager et de me distraire en me racontant toutes sortes d’affaires. Une vraie trooper. 

Au ravito de l’Érable et je veux juste arrêter. M’asseoir, enlever mes souliers et aller me coucher. Je texte Cath pour l’aviser de mon DNF (did not finish). Elle me répond qu’on se voit à Édouard. S’il fallait définir un creux dans une course, j’utiliserais cette section pour illustrer. 

Cath C ne veut rien entendre d’un abandon. Elle va tout donner pour que je me rende au minimum au prochain ravito. C’est un piège parce qu’elle sait qu’au prochain ravito je n’aurai pas le choix de continuer à cause de l’effet des Catherine au carré. 

Mes pieds sont un désastre. Je peux sentir les pires ampoules de ma vie à des endroits où je ne savais pas que je pouvais faire des ampoules. Cath C insiste pour me prêter ses chaussettes, mais je ne peux pas la laisser courir nu-pied dans ses chaussures. Finalement, un compromis est atteint : William me prête une des deux paires de chaussettes pratiquement neuves qu’il porte. Je n’en reviens toujours pas. Dorénavant, si je fais plus de 50 km j’aurai toujours une paire de chaussettes de rechange sur moi.

On repart finalement vers le mont Édouard. Je n’ai pas trop de souvenirs de ce segment, si ce n’est que j’avais mal aux pieds et que les pistes de vélo de montagne ce n’est pas mon fort et que ça n’avance pas vite. Par contre, dans la noirceur on voit les lampes des autres qui avancent lentement vers l’aurore. 122 km complétés.

You’re fine. This is fine.

Au ravito du mont Édouard, je vois Stéphane et j’essaie de lui annoncer que ma course est terminée. Pas capable de le verbaliser. C’est comme si tous les efforts des derniers mois et des dernières heures ne voulaient pas donner leur dernier mot. 

Je pleure et j’essaie de soigner mes pieds quand je réalise que je vais devoir repartir. Je veux de l’aide médicale pour voir s’il y a quelque chose à faire, mais mes pieds sont bien corrects, outre les ampoules : on ne voit pas d’os, ça ne saigne pas et il y a encore toute la peau.

Geneviève et Jason arrivent après nous et décident de terminer leur course ici.

Cath canalise sa Courtney et me dit que je suis ben correct, que tout est ben correct et que je devrais manger un grilled cheese. Mark vient me voir et me rappelle les encouragements que je donnais à Stéphane sur le 125 l’an dernier : dans le doute, tu arrêtes de te poser des questions et just do it! Cath C est prête et a hâte de me tirer encore! Je remercie les bénévoles et tout le monde au ravito et on entame la montée du mont Édouard.

Reset

Et après quelques heures dans le noir (métaphorique et littéral), la lumière revient sur ma course et sur mon mental. Je ne trouve pas le p’tit piton reset de mes pieds, mais les jambes sont correctes! Pis my god qu’on a besoin de jambes pour les prochaines sections. La passe de roche est une piste de ski qu’on doit remonter : un vrai champ de patates hyper glissant, avec en prime, un peu de boue. 

Cath C ne lâche pas le morceau et continue à me jaser comme si de rien n’était. Je perçois de la fatigue autant pour moi que pour elle et je lui dis que je vais devoir faire une sieste bientôt.

Au ravito de la ZEC, je demande mon matelas que j’installe pas super stratégiquement sous une table de bouffe et Cath me donne une couverture. Elle me réveille à la seconde près, dix minutes plus tard et me demande ce que je veux manger. Je commande deux grilled cheese et des brownies ce qui me donne un snooze de deux minutes et un plaisir gustatif inégalable. Cath C en a aussi profité pour dormir. 127 km complétés.

Gérard j’te dérange?

La prochaine section est relativement courte et nous ramène au ravito de la ZEC, mais la montée vers le refuge du Grand-Pic est faramineuse. Tellement, qu’il y a des sections d’asphalte, supposément aménagées afin de permettre l’accès à de la machinerie. J’avais pu tout mon cerveau fait que je n’ai pas posé trop de questions. 

En grimpant, je cite Pérusse et Cath C me répond du tac au tac. Ah ben! J’avais oublié qu’elle était fan. Fait que nouvelles missions pour la course : finir, avoir du fun et déconner le plus possible. 

On arrive au refuge où on est censé avoir une vue 360, mais on a plutôt la tête dans les nuages. Donc, on oublie la vue et on redescend dans des sections boueuses, techniques et glissantes. Faudrait pas changer la thématique.

De retour au ravito de la ZEC, ça va de mieux en mieux. Grilled cheese, jujubes et électrolytes et on repart, après avoir profité du feu pour se chauffer un peu. 133 km complétés. 

Le prochain segment est d’environ 15 km donc on sait qu’on en a pour quelques heures. C’est aussi une section qu’on partagera avec les athlètes du 35 km qui devraient commencer à nous rattraper.

On poursuit notre bout de chemin, en naviguant à travers les chemins forestiers et les sentiers de VTT complètement inondés. J’ai déjà mentionné le paddle ou le pédalo, on les aurait pris volontiers.

Après avoir traversé notre 10 000e flaque d’eau, on se fait dépasser par de plus en plus d’athlètes. On leur demande si les galipers sont garantis ou si un skidoo on peut laisser ça dans cour. Bien entendu, on vérifie la présence d’un accent avant de poser nos questions niaiseuses, et on est surpris du peu de monde en trail qui connaît son Pérusse. On croise Justin qui n’a pas sa meilleure journée, mais qui impressionne toujours!

Nos quelques heures de chemins forestiers se transforment à nouveau en descente de la montagne dans ce qui est possiblement le pire en termes de technicité, surtout à ce stade de la course. Cath C, Bach et moi sacrons à tour de rôle parce qu’on a hâte de sortir de là et d’arriver au ravito. 

Le champ du Pélican

Finalement de retour au ravito Édouard, un groupe de Pélicans nous attendait. Johanne m’encourage et nous avertit que le ravito n’est pas à six, mais à neuf kilomètres. Information cruciale qu’on va garder en tête, pour une fois. Cath Dion est là et elle me fait pleurer et rire (pleurire). Guillaume le coquet est 100% encouragements. Mila prend soin de Cath C et Cath prend soin de moi. On a décidé de ne plus toucher à mes pieds comme les ampoules ont l’air d’avoir percé, ou du moins, j’ai l’impression de ne plus les sentir. MJ me masse les jambes et Mark me dit qu’il n’en revient pas à quel point je reviens de loin. 148 km complétés.

On attend Bach et on repart. J’ai le couteau entre les dents. Je veux ma buckle, je vais aller la chercher et je ne peux pas décevoir tout le monde qui m’a aidé. La montée ressemble à la descente qu’on vient de faire : technique, boueuse, glissante. Les jambes sont encore là alors on monte. Je dis de la marde et on dépasse des athlètes du 35 qui décident de s’accrocher parce que ça les motive quelqu’un de drôle qui a plus mal qu’eux et qui dit de la marde.

Pauvre Cath C qui m’a sorti de l’enfer et qui m’entend maintenant dire des conneries comme si de rien n’était. On atteint le sommet en sachant que le ravito est maintenant trois kilomètres plus loin. Donc on entame une pseudo descente, pour mieux remonter vers le refuge du Géant. 

Sur le chemin, on croise Raphaël et je le remercie pour la super organisation et les bénévoles en or. Sérieusement, il y avait beaucoup de gens qui n’avaient pas d’idée de ce qu’était un ultra, mais ils ont tout fait pour qu’on se sente accueillis et bien nourris.

Bref, Raphaël allait chercher des athlètes qui se seraient perdus. Cath C et moi n’en revenons pas : comment se perdre dans du singletrack!?! On y revient.

Alors que le tonnerre commence à se faire entendre, on croise une randonneuse qui s’en va vers le Géant. J’hallucine des plateformes alors je n’arrête pas de lui dire que sa plateforme est ici. Après une montée qui semble interminable, un mini parcours à obstacle au sommet et une signalisation minimale, on arrive au Géant, le dernier ravito. 154 km complétés.

Une petite dernière

Cath C me dit qu’elle doit faire une sieste de cinq minutes, ce qui me donne le temps de manger et d’avoir hâte de descendre les quatre derniers kilomètres de cette course. Je m’étais fait avertir par Raphaël de ne pas m’asseoir dans les fauteuils du ravito, sinon je ne voudrais pas repartir, mais au moment où le cadran de Cath C sonne, on entend des voix familières : LeBinh et Aurélie sont là! LeBinh et son groupe étaient les athlètes perdus! Paraît que la chasse aux bleuets fait manquer la signalisation.

On repart pour la finale. On se fait indiquer de suivre la familiale, mais confusion à savoir si c’est la pente de ski ou de vélo. Ce sera finalement la deuxième option. On cherche un peu la signalisation pour trouver la bonne descente, et on emprunte le sentier qui débute de manière très technique et glissante, en plus de passer sur des caps de roche et des ponts pour le vélo de montagne.

C’est très bien, mais on a hâte d’avoir une vraie section roulante pas trop glissante. Je rattrape Cath C qui a glissé avant qu’elle ne tombe et on s’emballe un peu dans les berms. Par contre, les larmes aux yeux ce n’est pas idéal pour voir où mettre les pieds. J’ai du fun comme jamais et on entend le bruit de la ligne d’arrivée. On y est! Cath nous rejoint pour passer la ligne d’arrivée et c’est un grand moment d’émotions pour moi et pour les Catherine!

La course est souvent présentée comme un sport individuel, mais c’est très réducteur. Un 100 miles, ça ne se court pas seul. Il y a toute une communauté derrière nous, que ce soit les familles, les amis, les collègues, les organisateurs ou les bénévoles. Sans l’apport de toutes ces personnes, on ne pourrait pas faire nos efforts individuels. La course à pied crée des communautés et permet de tisser des liens, et ça, c’est ce qu’il y a de plus important à mes yeux. Ça et redécouvrir un des plus beaux coins du Québec. À refaire, avec une, deux, huit paires de chaussettes supplémentaires… et un pédalo.

Jean-François Veilleux
Jean-François Veilleux